ICARD Bernardin dit "Le Muet"ou "Barbe Rouge"
- Fab Vara
- 16 mars 2024
- 15 min de lecture
Dernière mise à jour : 27 juil. 2024


Le 3 janvier 1842, ICARD Bernardin a vu le jour au quartier de Cimiez, dans les hauteurs de Nice. Bernardin est né de l’union en secondes noces de Honoré Marie Félix ICARD (1797-1875) et de Thérèse BOTTAU (1807-1891) dans la propriété LAURENTI, quartier de l'arbre inférieur à Nice.
FRATRIE DE BERNARDIN ICARD
De l'union en premières noces de Honoré Marie Félix ICARD (1797-1875) et OLIVIER Anne-Marie (1802-1832) :
ICARD Jean (1829-1906) marié à ROUS Augustine le 01 janvier 1854.
ICARD Honoré (1830-1910) marié à AUGIER Rose le 03 février 1857.
De l'union en secondes noces de Honoré Marie Félix ICARD (1797-1875) et Thérèse BOTTAU (1807-1891) :
ICARD Honoré (1836-1904) mon arrière-arrière-arrière-grand-père marié à MUSSO Anne-Marie Philomène (1841-1908) le 27 octobre 1862 à Nice.
ICARD Catherine (1847-1868) mariée à VERAN Antoine (1843-1917) le 03 juillet 1866.
ICARD Jean-Baptiste François (1839-1839).
2. CONJOINT ET ENFANTS DE BERNARDIN ICARD
Célibataire
Sans enfants
Pour contextualiser la période dans laquelle vivait Bernardin, le comté de Nice connaissait une transition politique importante. En 1850, Nice se trouvait encore sous le contrôle du Royaume de Sardaigne.
Six ans avant l’annexion de Nice par la France, Napoléon III était porteur d’une décision lourde de conséquences. Par un décret du 30 mai 1854, l’Empereur proclamait que la peine de travaux forcés serait "subie, à l’avenir, dans des établissements créés par décret de l’Empereur, sur le territoire d’une ou plusieurs possessions françaises autres que l’Algérie." C’est à ce moment que la « transportation » était née.
Source : Lettres du Bagne - Collection Histoires d'outre-mer (Archives nationales d'outre-mer/ Images En Manoeuvres Editions)
En 1860, Nice et la Savoie ont donc été rétrocédées à la France par le Royaume de Sardaigne par le traité de Turin du 24 mars 1860. Cet accord historique a profondément remodelé le paysage politique régional et a également eu un impact significatif sur la vie de Bernardin.
En effet, le 10 janvier 1866 s'ouvre un procès contre Bernardin pour vol et assassinat de Mme GAVARI mariée à GASTAUD. Ces faits remontent au 21 mars 1865. Bernardin est condamné aux travaux forcés à perpétuité. Il est détaché de la chaîne le 5 septembre 1866, embarqué pour la Guyane sur le transport « La Cérès » parti le même jour sous l’ordre de Monsieur le Préfet Maritime en date du 30 août 1866.



2. LE PROCÈS
Retranscription de l'audience du 10 janvier 1866 de la Cour d'Assises des Alpes-Maritimes (Source : BNF. La gazette des tribunaux du mercredi 17 janvier 1866) :

"Une foule considérable stationne aux abords du Palais de Justice et s’entretient avec animation du double crime soumis à l’appréciation du Jury.
L'accusé est introduit. Ses yeux injectés de sang, ses cheveux et sa barbe rouge, son énergie physique, répondant aux passions sauvages que les débats vont signaler.
Le public s’attend à des révélations étranges sur le caractère de cet homme, depuis longtemps, est l’effroi de son quartier."
Les époux GASTAUD, vieillards âgés de plus de soixante ans, habitaient seuls une maison située au quartier de l’arbre-inférieur, à Nice. Dans cette maison se trouvent plusieurs chambres louées à des voisins pour y déposer du fourrage ; et ICARD loue l’un d’eux, a même une clef de la porte d’entrée. Chaque jour, le Sieur GASTAUD se rendait dès le matin à un magasin de plâtre, où il travaille comme ouvrier et ne revenait qu’à la nuit.
« Le mardi 21 mars dernier, rentrant suivant l’usage, vers six heures du soir, il trouva dans la maison le cadavre de sa femme étendue à terre et baignée dans son sang. De nombreuses blessures existaient à la tête, et les mains encore chaudes indiquaient que la mort était toute récente. Sieur GASTAUD constata en outre que la porte qui donnait sa chambre vers le corridor, et dont sa femme avait la clef, avait été fracturée, les tiroirs de la commode étaient bouleversés, et une somme d’argent qui s’y trouvait enfermée avait disparu. Un double crime venait donc d’être commis.
« La justice se transporta sur les lieux, et les hommes de l’art constatèrent que la victime portait au cou trois graves incisions, à l’œil gauche un quatrième, et, enfin, à la tête, en arrière et à gauche, six autres blessures profondes, régulières, dirigées dans tous les sens. D’après leurs conclusions, la mort a été instantanée, et produite à l’aide d’un instrument piquant, tranchant et contendant.
« Les soupçons ne tardèrent pas à se porter sur Bernardin ICARD, homme dangereux, domicilié avec ses parents dans une maison peu éloignée de celle de GASTAUD. Des perquisitions opérées à son domicile amenèrent la découverte de vêtements ensanglantés, et les fouilles pratiquées auprès de la maison firent découvrir encore, caché sous du fumier, un pantalon couvert de sang. Les investigations de la justice, jointes aux aveux mêmes que le prévenu a fait à divers témoins, ne peuvent laisser aucun doute sur sa culpabilité, et permettent de préciser d’une manière presque certaine, dans quelles circonstances le crime a dû se produire.
« ICARD qui, le jour où la femme GASTAUD a été assassiné, travaillait dans le champ situé à 25 mètres du crime, cessa son travail vers 4h30 du soir. Avec la clef que son père avait et dont il s’était muni, il entra dans la maison GASTAUD, enfonça la porte de la chambre où il savait que les époux habitaient et tenaient leur argent, et s’empara de 160fr en or cachés dans un soulier, puis il prit la clef du grenier qui était sur la commode, y monte et brisa les roseaux qui fermaient une des fenêtres, ouvrit la fenêtre qui donne sur le toit, afin de faire croire que le voleur avait pénétré et s’était enfuit par-là, et, au moment où il descendait l’escalier pour sortir, il se trouva en face à face avec la femme de GASTAUD qui rentrait.
« Celle-ci avait quitté vers 4h30 la terre de Sieur BOUTON, emportant un faix d’herbe sur le dos et des graines de maïs dans un mouchoir qu’elle avait pendu à un de ses bras. Elle arriva chez elle dix minutes après. En entrant, elle déposa dans une chambre située à gauche du corridor son faix d’herbe, et c’est au moment qu’elle revenait du corridor que ICARD se jeta sur elle. Il lui porta un coup de sabre à la gorge, la frappa à la tête de plusieurs coups qui lui percèrent le crâne, et, après s’être assuré de la mort de sa victime, il remonta au grenier et s’enfuit par la fenêtre donnant sur le toit, d’où il descendit facilement à terre.
« En ce moment, le sieur CARLIN, qui travaillait à quarante mètres de là, et qui, après avoir entendu le bruit produit par les roseaux de la fenêtre que l’on brisait, avait aperçu la main du malfaiteur, vit ICARD s’éloigner de la maison GASTAUD, et l’appela. Il remarqua qu’il portait de vieux vêtements. L’accusé, troublé, lui demanda ce qu’il faisait là et lui dit de l’attendre ; puis il se rendit chez lui, changea ses vêtements, et un quart d’heure après revint auprès de CARLIN qu’il appela à son tour. Il paraissait fort agité. De la ceinture de son pantalon sortait à droite, l’extrémité d’un nerf de bœuf plombé ; à gauche la poignée d’un sabre et la crosse d’un pistolet. Jetant des regards inquiets autour de lui, il dit : « j’ai un secret ; » puis il ajouta : « ici, nous sommes trop en vue, viens par-là, je te dirai une parole. »
Ils firent quelques pas, puis ICARD reprit : « Je viens de la maison GASTAUD ; toi seul m’as vu quand je m’échappais. Garde-toi de rien à personne…J’ai tué la femme…elle est morte. Tu peux aller voir si tu veux. »
Pour détourner les soupçons, j’ai ouvert les fenêtres et les portes. Je te confie ce secret, toi seul tu le connais ; mais malheur de toi si tu dis quelque chose…je t’ôte la vie…Tiens, il vaut mieux que je l’ôte tout de suite, car tu me dénoncerais. » Il sortit alors le sabre qu’il avait à la ceinture, et il allait tuer CARLIN (il l’a déclaré lui-même), quand apercevant sa nièce, une enfant de huit ans, qui venait à eux, il cacha son sabre sous sa veste, il recommanda de nouveau le secret à son interlocuteur, l’engagea à venir le trouver le lendemain, à l’entrée de la nuit, à un endroit qu’il lui désigna, pour lui dire comment les choses se passaient et si les soupçons se portaient de son côté ; puis il reprit le chemin de la maison, en ajoutant qu’il allait cacher son pantalon taché de sang. Il l’enfouit en effet sur le fumier où, le surlendemain, on le retrouva, et il se rendit à Nice.
« En passant sur la Place d’Armes, il rencontra le mari de sa victime, auquel fit entendre qu’il allait dans une maison de prostitution. Il passa la soirée dans plusieurs auberges où il se montra d’une exaltation étrange. Au sieur GILLY il disait : « Tiens, tu n’as rien à craindre avec moi ; j’ai des armes ; » et il les lui faisait toucher en effet de chaque côté de sa ceinture. « Si quelqu’un nous cherche « dispute, ajoutait-il, laisse-moi seul et nous verrons. »
Il lui disait encore : « je ne craindrai pas de t’enlever la vie peau, et si je rencontrais ma mère, je ne craindrais pas de lui enlever la sienne. »
« Chez le Sieur MENCI, il enfonça le bouchon d’une bouteille avec la pointe de son sabre, puis il dit : « C’est la première et dernière fois que nous trinquons ; si tu veux me revoir, ce sera aux galères. » Au sieur FRANCO, il raconta les détails de son crime comme il l’avait fait à CARLIN, et il lui montra les armes dont il était porteur.
« Si l’on vient m’arrêter, dit-il, je sors mes armes, je me défends avec le sabre, et si je ne puis me résister je me fais sauter la cervelle avec le pistolet. » Il ajouta que CARLIN devait, le lendemain, lui faire savoir, sur la montagne si les soupçons se portaient sur lui, et qu’il voulait le tuer parce qu’il l’avait vu sortir de la maison GASTAUD.
Vers 23h30, il entra dans une maison de tolérance et y passa la nuit ; il avait caché son sabre sous le traversin et recommandé à la fille POURVILLE de ne pas parler de cette circonstance. Vers 10h00 du matin, il se leva et se dirigea vers le col de Villefranche où il demeura la journée. Là encore, il fit voir à plusieurs personnes le canon de son pistolet. Vers 15h00, le beau-frère de la victime ayant passé par là, et ayant dit à ICARD que l’on ignorait encore quel était le coupable, il revint à Nice, frappa le soir, à 21h00, à la porte de son domicile, et fut arrêter par le brigadier de gendarmerie qui y était en surveillance.
« Avant d’arriver chez lui, il avait déposé ses armes dans un sillon voisin, où elles furent retrouvées le lendemain. Ces armes ont été reconnues comme étant celles que portaient ICARD, et le sabre s’adapte parfaitement aux coupures du châle de la victime et explique la forme aussi bien que la nature des blessures constatées sur le cadavre. Les vêtements saisis à son domicile ont été reconnus pour être les siens, et la science a constaté qu’ils portaient des traces de sang.
« A ces charges accablantes, ICARD répond par des dénégations absolues ; il nie tout, même les propos qu’il a tenus ; mais les circonstances si précises de l’instruction ont révélé et les dispositions complètes des divers témoins ne laissent aucun doute sur sa culpabilité.
« Les antécédents de l’accusé sont déplorables : il a sans cesse la menace à la bouche et s’est rendu la terreur des membres de sa famille et des habitants de son quartier. En 1862, il a été condamné pour rixe ; au mois de février dernier, il a tenté d’empoisonner son père, sa mère, son frère et sa belle-sœur en jetant dans leur soupe, dans l’huile et le café, du phosphore pilé ; puis lorsque ses parents lui adressèrent des reproches à ce sujet, il s’emporta, blasphéma contre eux et quitta la maison. A différentes reprises, d’ailleurs, il avait manifesté l’intention d’empoisonner ses parents, et il disait au sieur MUSSO, en faisant allusion au poison qu’il avait mêlé à leurs aliments : « j’irai sur la colline et si j’apprends qu’ils sont empoisonnés, je tire un coup de fusil au premier que je rencontre ensuite je recharge mon arme et je tire sur ceux qui se présentent. »
Après la lecture de l’acte d’accusation, M. le président procède à l’interrogatoire de l’accusé. ICARD nie tous les faits mis à sa charge, les déclarations qu’il a faites, les propos qu’il a tenus. Son sourire presque continu ferait croire qu’il ne se rend pas compte de la grave accusation dont il est l’objet.
L’audition des témoins commence.
Gastaud, journalier : Je pars chaque matin pour me rendre à un magasin de plâtre à Nice, et je rentre le soir à six heures. Mardi, 21 mars dernier, je trouvai la porte de ma maison ouverte. Ma femme était étendue à terre. Je l’appelle : Lucie ! Lucie ! Je lui prends la main encore chaude : mais ma pauvre femme était morte, le sang lui sortait par le col, son crâne était broyé et la cervelle avait jailli contre les murs. Quand j’ai voulu entrer dans ma chambre, la porte était ouverte, ma commode bouleversée et une somme de 160fr en or déposée dans un soulier avait été volée.
Carlin François, cousin germain de l’accusé : Le 21 mars, vers quatre heures et demie du soir, je travaillais à quarante mètres de la maison Gastaud, lorsque j’ai entendu briser des roseaux à une fenêtre. Je me suis détourné et ai aperçu la main d’un malfaiteur. Peu d’instant après, j’ai aperçu l’accusé, qui paraissait venir de la maison Gastaud, et se dirigeait en ligne droite vers la sienne. Je l’ai appelé ; il s’est arrêté troubler, et m’a demandé ce que je faisais là. Puis il m’a dit de l’attendre. Un quart d’heure après, il est venu me retrouver, et m’a dit : « j’ai un secret à te confier, toi seul m’as vu quand je m’échappais. Garde-toi de rien dire à personne. Je viens de tuer la femme Gastaud ; elle est morte ; tu peux aller la voir si tu veux, mais malheur à toi si tu dis quelque chose. Tiens, il vaut mieux que je te tue dès à présent. » Et il sortit un sabre qu’il tenait caché dans son pantalon, lorsqu’il aperçut à cinquante pas sa jeune nièce qui arrivait. Il cacha son arme, et je vis qu’il portait en outre un nerf de bœuf et un revolver. Puis, il me dit : « Viens demain me dire sur le col du Vinaigrier comment les choses vont, et s’il y’a des soupçons sur moi. » Il prit ensuite la direction de la maison.
Nathalie Icard, nièce de l’accusé : Le 21 mars j’ai vu, vers cinq heures du soir, Icard et Carlin causant ensemble. Je les ai bien reconnus.
Bouton (Bottau) Père, oncle de l’accusé : Le lendemain du crime, mon neveu Carlin est venu me voir ; il paraissait consterné. Je suis perdu, me dit-il je n’ose rentrer dans ma maison. Je lui conseillai alors de dire à son père ce qui le tourmentait.
Bouton fils : Carlin m’a confié les révélations que lui avait faites la veille l’accusé. Il était encore tout tremblant. Je l’accompagnai chez son père et de là nous nous rendîmes à la gendarmerie pour u donner ce renseignement.
Plusieurs autres témoins déposent du trouble, de l’agitation de Carlin, et de l’effroi qu’ils ressentirent eux-mêmes en apprenant qu’ICARD était l’auteur du crime.
André Gillé, serrurier à Nice : Le mardi 21 mars, vers sept heure et demie du soir, je rencontrai ICARD rue Victor. Il m’invita à prendre le café. Je refusai. Il insista fortement et alla même jusqu’à me menacer de me battre si je refusais. Il était très exalté et me dit en me montrant les armes dont il était porteur : Viens avec moi, tu n’as rien à craindre ; je ne craindrais pas de t’enlever la peau, et si je rencontrais ma mère, je ne craindrais pas de lui enlever la sienne. Je le quittai et j’avais grande peur de cet homme.
Joseph Meney, Charretier à Nice : Mardi 21 mars, vers huit heures, ICARD vint chez moi et me demande à boire. Voulant déboucher une bouteille, il sortit de son pantalon un sabre et cassa le goulot de la bouteille. En trinquant avec nous, il nous dit : C’est la première et dernière fois que nous buvons ensemble. Si vous voulez me revoir, ce sera aux galères. L’aspect étrange de cet homme, les armes dont il était porteur nous avaient glacés d’effroi.
Vincent Franco, domestique à Nice : Je connais depuis longtemps ICART. Mardi, 21 mars, j’étais vers dix heures du soir au café Victor lorsque je le vis entrer. Il m’offrit à boire, puis nous sortîmes ensemble. Alors il me dit : « Je ne te voudrais pas te voir à ma place pour 50,000 francs. Veux-tu que je te confesse un chose : j’ai tué une personne ! Vois si j’ai du courage, je suis ici. » J’ai cru qu’il plaisantait). Alors il me répliqua : « Demain tu sauras assez si je dis la vérité. Je lui ai porté un coup de sabre à la gorge, puis quatre à cinq coups à la tête ; ensuite pour faire croire à un vol, j’ai ouvert les fenêtres et brisé des roseaux, puis je me suis échappé. A ce moment, j’ai été aperçu par Carlin. Je lui ai dit : Malheur à toi si tu parles ; et j’allais même le tuer lorsque j’ai aperçu ma nièce. Je le tuerai cependant, parce qu’il pourrait parler ; mais demain il me portera réponse sur la montagne. Je regrette d’avoir tué une femme, j’aurais préféré tuer un homme. »
Marie Sourville/Pourville, fille soumise : Mardi, 21 mars, à onze heures et demie du soir, Icard est venu coucher avec moi. Il me parut assez gai, et s’endormit. Le lendemain il s’est réveillé vers les dix heures du matin, puis il s’est levé. En s’habillant j’ai vu qu’il tirait de dessous le traversait de mon lit un sabre qu’il y avait placé la veille, sans que je m’en fusse aperçu. Je fus étonnée et effrayée, mais il me recommanda de ne rien dire, et ajouta que quand on allait dans les mauvais lieux, il était bon d’être bien armé.
Maccari, aubergiste au col de Villefranche : Le mercredi 22 mars, Icard vint chez moi vers midi, il s’y fit servir à déjeuner dans une chambre à part, puis il passa son temps sur le chemin à causer avec les passants. Vers trois heures, le beau-frère de la victime passa ; il dit, en présence d’Icard que la justice ignorait encore l’auteur de ce crime. Icard répondit que c’était un crime abominable. Il quitta ensuite mon auberge vers cinq heures et parut se diriger sur Nice.
Serp, brigadier de gendarmerie : J’ai passé la journée du mercredi aux alentours de la maison Gastaud, pour y prendre des renseignements sur le crime qui y avait été commis. M. le procureur impérial me donna l’ordre de passer la nuit dans la maison d’Icard, avec la famille de l’accusé. Quand la nuit arriva, je fis fermer les portes et les fenêtres. Vers neuf heures on frappa à la porte, je compris que c’était l’accusé qui rentrait, je dis à son père d’aller lui ouvrir et je marchai après lui. Icard ayant entendu parler, comprit qu’il y’avait quelqu’un et voulut fuir, je me jetai sur lui et l’arrêtai. Surpris, il ne fit pas de résistance.
Le lendemain matin, sa belle-sœur nous remit les armes qu’Icart venait de déposer dans un sillon voisin de sa maison avant de frapper à la porte.
André Musso : Je connais Icard depuis son enfance. Un soir nous sortions ensemble de l’auberge, lorsqu’il me confia qu’il venait d’empoisonner toute sa famille, qu’il avait pilé du phosphore et qu’il en avait jeté dans la soupe et dans l’huile. Il ajouta : J’ai fait la même confidence à mon cousin Carlin et lui ai dit que je lui flanquerais un coup de fusil s’il parlait. Il ajouta, sans raison : Je vais chez Louis Musso lui tirer un coup de fusil, puis j’irai sur la colline et si j’apprends que mes parents sont empoisonnés, au premier que je rencontre je tire un coup de fusil ; puis je recharge mon arme et je tire sur tous ce qui se présentent.
Jean-Baptiste Musso : Je voyais avec peine Icard venir dans mon auberge. Il passait pour un homme dangereux et faisait peur à tout le monde.
Lorderay, commissaire central à Nice : J’ai reçu les dépositions d’un grand nombre de témoins ; et j’ai pris des renseignements auprès des habitations de son quartier. L’accusé est un objet de terreur pour ses voisins et même pour sa famille. Pendant plusieurs années il a passé pour être muet, mais il pouvait parler, et parlait surtout pour menacer les siens. J’ai la conviction qu’il n’est pas fou, mais que c’est un homme fort dangereux.
Il est ensuite procédé à l’audition des témoins à décharge.
Paul Musso, propriétaire, capitaine du quartier : Je connais Icard depuis son enfance. On le craint parce qu’il est fou et qu’il en a donné toujours des preuves. Pendant plus de dix ans, il n’a jamais voulu parler. Il contrefaisait les cris de bêtes féroces, montait dans les arbres comme un singe. Je l’ai vu plusieurs fois s’approcher d’une mine chargée, et se refuser à s’éloigner quand on la tirait. Dans tout le quartier, on sait qu’il n’a pas sa raison.
Louis Musso, plâtrier : Icard ne jouit pas de son bon sens. Pendant des années il a refusé de dire un seul mot. Il est violent, et on le craint parce qu’il est impossible de lui faire entendre raison.
Antoine Véran, charretier, et plusieurs témoins déposent des mêmes faits et déclarent que l’accusé ne jouit pas de son bon sens ; qu’on l’a toujours regardé comme extraordinaire.
Les dépositions des témoins ont profondément impressionné l’auditoire.
Pendant tout le cours des débats, l’accusé a constamment gardé la même indifférence apparente. Quelque fois, il a paru faire preuve d’intelligence, mais le plus habituellement un sourire étrange errait sur ses lèvres.
M. le procureur impérial soutient l’accusation.
Maître NAVELLO présente les moyens de défense de l’accusé. Après un remarquable résumé de M. le président, le jury entre dans la salle de ses délibérations, et ne tarde pas à revenir en rapportant un verdict de culpabilité, mitigé par les circonstances atténuantes.
En conséquence, Icart est condamné aux travaux forcés à perpétuité. Il entend sans manifester aucune émotion l’arrêt qui le condamne.
Il est sept heures du soir, et la foule se retire en silence."


3. AUTRES TÉMOIGNAGES
Co-détenu GIOANNI : "Le 07 octobre 1865, ICART avait formé le projet de se jeter sur le gardien de ronde durant la nuit, il devait forcer la porte de la cellule (ce qu'il a effectué), saisir le gardien au cou, le tuer d'un coup de couteau s'il résistait (un couteau a en effet été saisi sur lui) et avec deux gros cailloux qu'il mettrait dans un mouchoir, assommer ceux qui se présenteraient, prendre les clés et se sauver" (...)"A diverses reprises il m'a raconté ce qui suit : "J'en voulais à la femme GASTAUD parce qu'elle a raconté à mon père et ma famille que j'avais voulu les empoisonner, de plus je savais que les époux GASTAUD avaient de l'argent chez eux."
MUSSO Anne Marie Belle-Soeur de l'accusé (Mon arrière-arrière-arrière grand-mère) : "Mon beau-frère Bernardin vivait d'une manière étrange dans la maison, il ne se mettait jamais à table avec nous, nous n'avions jamais eu de querelles ensemble et cependant il ne me parlait pas. Quand son père le commandait il lui répondait brutalement et jurant contre lui. Jamais il n'a eu de querelles contre mon mari (....) Mon beau-père et mon mari donnaient de l'argent à Bernardin mais c'était par suite de la frayeur qu'il leur inspirait"


4. LA FIN DE VIE DE BERNARDIN ICART
De Nice jusqu'à Kourou (Guyane)

Évasions en Guyane :
Évadé des chantiers le 24 octobre 1866. Réintégré le 4 novembre 1866.
Évadé de Kourou le 27 juin 1870. Réintégré le 30 juin 1870.
Évadé de Cayenne le 28 mars 1871. Réintégré le 30.
Évadé de Kourou le 21 septembre 1871. Réintégré le 24.
Évadé de Kourou le 09 juillet 1872.
À ce jour, je n'ai pas retrouvé la trace de Bernardin depuis sa dernière évasion. Son acte de décès reste introuvable entre la dernière évasion et 1910. Aucun autre jugement n'a été prononcé contre lui en Guyane.
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